Le Livre de mon fils

IX

O mon fils, j'avais à dessein de te parler de ce Jésus que je t'ai donné pour compagnon. Je voulais te dire sa vie, pour que plus intimement tu penses y mêler la tienne. Mais je sens bien qu'il m'y faut renoncer. Je pouvais te parler de son enfance, te conter la fuite en Égypte, te décrire les bords plats du Nil, et l'île où Joseph et Marie vécurent, je pouvais te dire les campagnes de Galilée, Nazareth au pied du Thabor, peut-être t'eussé-je narré les noces de Cana. J'eusse accumulé les détails extérieurs. Je connais bien ce pays de Galilée, la montagne et la plaine et près des fontaines les platanes. À Nazareth j'ai cueilli des violettes blanches. Un saint de chez nous, Charles de Foucauld, les avaient semées. Mais déjà dans l'histoire des rois mages je me dérobais. Si je me suis tant étendu sur ces bons rois, ce n'est pas seulement que je les aimais,  ce n'est pas seulement pour te dire leur folie divine – les voyages invraisemblables à la recherche d'un enfant – ni pour l'exemple de leur foi, mais je sentais bien que je n'irais plus outre. Mon fils, devant Jésus, que puis-je sinon me taire. Luc, Matthieu, Marc, t'ont dit la vie, Jean t'a révélé son âme, et qu'elle fut toute d'amour, à l'Esprit de t'instruire plus profondément pour de la vie de Jésus faire la tienne. Vois-tu, Jésus s'est fait tout à tous, chacun de nous peut s'y conformer. Je t'eusse dit simplement (et encore le pouvais-je) ce qu'il est pour moi, et pour un poète la magie de ses paraboles, mais je n'avais pas de don pour te communiquer son âme et te montrer par quoi elle est si  parente de la tienne. Pourtant c'est cela que je voulais.

Mon fils, chaque jour médite les Évangiles. Qu'ils te soient si intimes que Jésus devienne vraiment ton compagnon. Sa vie, ce n'est pas à moi de te la décrire avec des mots, c'est à toi de l'inscrire dans ton âme. Et tu connaîtras sa Suavité. Pourtant ne cherche pas le bonheur auprès de lui. Il te donnera la joie, il te donnera la paix, il ne te donnera pas le bonheur. Il te mènera par un chemin bordé de ronces vers la porte étroite dont le seul linteau est la croix. C'est là qu'il te faut monter avec lui. Qu'importe la plaine de Galilée et ses lointains bleus au pied du Thabor, qu'importe les lys des champs, les étendues blanchissantes par la moisson, les soirs à Tibériade, quand les barques rentraient au port, et que le rose crayeux des montagnes se fonçait au rose glissant du lac, une seule chose compte vraiment, vois-tu : ce monticule aux portes de Jérusalem. On l'appelait le Calvaire. C'était un lieu abandonné, un cimetière et tout en haut, un gibet. Certes la vue était belle de ce lieu. On dominait Jérusalem et ses terrasses où l'ombre et la lumière s'imbriquent. On apercevait le Cedron, ses tombes bleues et blanches, par delà le Cedron le Mont des Oliviers. Mais qu'importe, car ce lieu dominait le monde.

Prie, mon fils, et tu connaîtras ce Jésus mort sur une croix pour l'amour de Son Père et pour ton amour.